Éduquer, est-ce manipuler ?

Rédigé par antistress le 12 avril 2021 - Aucun commentaire

Visage terrifiant au regard dérangeant

Dans ma pratique de CPE, j'ai recours à différentes techniques qui peuvent s'apparenter à de la manipulation.

  • Je pourrais enchaîner avec une question attendue, du type : « où est la frontière entre éducation et manipulation ? ».
  • Mais je pourrais aussi bien enchaîner avec une toute autre question, sans doute moins attendue : « est-ce un problème ? ».

Car je me suis posé successivement ces deux questions au fur et à mesure de ma réflexion.

Quelques exemples tirés de ma pratique

La question « Éduquer, est-ce manipuler ? » peut se poser lorsque je mets en œuvre la méthode de la préoccupation partagée, adaptée de la méthode Pikas, pour remédier à une situation de harcèlement scolaire. Dit sommairement, cette méthode permet de modifier la dynamique d'un groupe en recevant en entretiens individuels des élèves que l'on va pousser à se préoccuper d'un·e autre en souffrance, subissant des brimades au sein du groupe, tout en feignant d'ignorer ce qui se passe.

C'est probablement l'exemple le plus frappant de « manipulation », mais je peux en trouver d'autres :

Quelle est la question (ou la réponse) exactement ?

À la question formulée dans le titre du présent billet, j'ai d'abord répondu intuitivement de la façon suivante : la frontière entre l'éducation et la manipulation est bornée par l'éthique. Dès lors que la technique employée sert l'élève, qu'il est bien la finalité de celle-ci, alors ce n'est pas de la manipulation : on est bien dans l'éducation.

Pourtant cette réponse ne résiste pas à l'analyse : loin de démontrer qu'il n'y a pas de manipulation, elle entérine l'idée d'une manipulation éthique par opposition à une manipulation qui ne servirait pas l'élève.

Tombons le masque

Plutôt que de tordre la réponse, peut-être est-il temps de m'avouer que l'éducation peut passer par la manipulation. Bref : qu'éduquer, ce peut être manipuler (vifs chuchotements dans la salle).

C'est une fois de plus les travaux du philosophe Eirick Prairat qui me permettent de poursuivre ma réflexion – et donc ce billet.

S'appuyant sur l'analyse d'Hannah Arendt, il rappelle tout d'abord que l'autorité ne relève ni de la contrainte ni de la persuasion (laquelle présuppose l'égalité) avant d'affirmer que celle-ci est de l'ordre de l'influence.

Il n'y pas d'éducation sans initiatives, sans propositions ou suggestions. Refuser de proposer et donc d'influencer, c'est tout simplement refuser d'éduquer. Cela signifie qu'il n'y a d'accès à l'humanité que dans un mouvement en réponse et non dans un élan premier.

Posant ensuite la question « qu'est-ce qui distingue l'influence éducative – l’autorité – de l'influence manipulatrice ? », il détaille les quatre propriétés qui, selon lui, caractérisent l'autorité. J'en retiens ici particulièrement deux :

  1. Tout d'abord, écrit-il, c'est une influence libératrice. Citant Rousseau : l'autorité regarde plus à l'avantage de celui qui obéit qu'à l'utilité de celui qui commande. Il ajoute : l'autorité fait croître, grandir. Citant ensuite Gérard Guillot : elle a « pour fonction première d'autoriser : autoriser à exister, à grandir, à apprendre, à se tromper, à être reconnu et respecté dans sa dignité humaine, à créer, à aimer… ». Plus loin : éduquer et autoriser sont les deux faces d'une même réalité, d'un même processus. Éduquer, c'est autoriser ; grandir c'est se sentir graduellement et progressivement autorisé.
  2. Seconde caractéristique, poursuit-il : l'autorité est une action indirecte. Elle n'est pas « une action sur » mais une activité qui vise à susciter, en l'autre, une activité. Elle n'est pas une volonté qui s'oppose et s'impose à une autre volonté pour la soumettre, mais une volonté qui s'allie à une volonté naissante pour l'aider à vouloir. Ce que Vincent Descombes appelle selon lui « le partage de l'agir ».

« Manipulation » écris-je, « influence » préfère pour sa part Eirick Prairat. Sous doute à raison, le premier des deux mots étant bien souvent négativement connoté (pas toujours, pourtant : cf le soignant qui vous manipule pour vous guérir, ou le garagiste qui manipule votre véhicule pour le réparer… sans que personne ne s'en offusque !). Et pourtant, l'idée est bien la même, me semble t-il. D'ailleurs – ce qui pourrait être vu comme un indice de cette ressemblance – un peu plus loin Eirick Prairat concède se heurter au même écueil s'agissant du second mot : « à sans cesse critiquer la relation d'autorité à partir du présupposé que toute influence est par définition négative, on en oublie que l'autorité est invitation et initiation ». Tiens, cela répond à la question-titre du billet.

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