Cinq policiers afro-américains battant à mort un afro-américain : est-ce du racisme ?
Rédigé par antistress le 29 janvier 2023 - Aucun commentaireD'où je parle
Au bingo des discriminations, étant un homme blanc valide venant d'un milieu social favorisé, je bénéficie d'à peu près toutes les principales discriminations qui hiérarchisent les personnes vivant dans la société française (et dans la plupart des autres pays).
Ce que je comprends des discriminations
Des discriminations ? Où ça ? (demanda l'homme blanc)
Je n'ai jamais été pénalisé, depuis mon enfance [1], en tant qu'appartenant à une certaine catégorie de la population. Je n'appartiens à aucune des catégories de population socialement minorées [2]. Prendre conscience des discriminations est de ma part une démarche purement intellectuelle puisque je ne les ai pas personnellement vécues dans mon être… en tout cas pas de manière négative. Ces discriminations à l’œuvre das la société – pour chercher un travail, un logement, obtenir un crédit, pour être a priori crédible et être entendu dans sa parole auprès des institutions, pour ne pas être harcelé par l'administration, etc. – ne m'ont jamais empêché de faire quelque chose ni occasionné un tort, au contraire.
Par exemple [3] personne ne m'a jamais racisé [4] : personne ne m'a jamais assigné blanc (par ses propos ou son attitude), je n'ai même pas conscience d'avoir une couleur, et, si je me regroupe avec d'autres personnes blanches, personne n'aura l'idée de m'accuser de communautarisme.
Mon privilège (m')est invisible et je pense avoir mérité tout ce que j'ai récolté (puisque j'ai fait des efforts pour l'avoir, c'est bien la preuve !).
Une femme est-elle forcément féministe ?
Au moment des mouvements #metoo
et #balancetonporc
, une tribune signée par Catherine Deneuve et cent autres femmes défendait la « liberté d'importuner ». Il m'a fallu du temps pour comprendre qu'une femme pouvait être anti-féministe et adhérer/reproduire/promouvoir des comportement sexistes (et, symétriquement, qu'un homme pouvait être féministe, chose qui me semblait moins contradictoire cependant). Car les stéréotypes de genre imprègnent toute la société et chacune et chacun est amené à les reproduire inconsciemment, à moins de, justement, venir à en prendre conscience (et de ne pas en être d'accord).
Un noir insulte un blanc en tant que blanc : est-ce du racisme ?
Il est important de définir les termes pour comprendre de quoi on parle. Le racisme désigne un système qui organise une hiérarchie entre des groupes de personnes selon leur appartenance culturelle, ethnique ou leur couleur de peau. Il peut l'organiser en droit (racisme d'État, ségrégation, apartheid) ou en fait (racisme sociétal, culturel, historique pourrait-on dire). Dès lors un blanc vivant en France ne peut jamais se dire victime de racisme puisqu'il est très exactement le bénéficiaire du système qui discrimine les individus selon leur appartenance culturelle, ethnique ou leur couleur de peau.
Pour autant il peut arriver qu'une personne noire tienne des propos « racistes ». Ainsi, pour répondre à la question posée, si une personne noire insulte une personne blanche en tant que blanc, alors nous pouvons dire que cette dernière est victime d'un préjugé racial. Mais on ne pourra pas dire pour autant que cette personne est victime de racisme, le terme désignant les personnes qui sont discriminées par la société de manière systémique, autrement dit aux personnes socialement minorées (en l’occurrence en raison de leur appartenance culturelle, ethnique ou de leur couleur de peau).
Cinq policiers afro-américains battant à mort un afro-américain : est-ce du racisme ?
Cette question, hélas d’actualité, m'a été posée hier par une amie avec qui j'ai déjà eu l'occasion d’évoquer les questions ci-dessus. Celle-ci n'étant qu'en partie convaincue par mes développements, je crois deviner que sa question était en fait une provocation, un test.
Cependant je me suis rendu compte que, pour provocatrice qu'était sa question, elle n'en demeurait pas moins une vraie bonne question, et pas facile avec ça. Certes la victime de violences policières états-uniennes est une nouvelle fois afro-américaine, mais les policiers le sont ici aussi ! Est-ce que cela change quelque chose ? Sur le moment j'ai essayé d'imaginer les deux réponses sans en écarter aucune, sans toutefois parvenir à trouver l'argument décisif qui me satisfairait comme étant cohérent avec ce que je connais des mécanismes de discriminations. Il me manquait une grille de lecture claire qui me permettrait d'appréhender ce fait au prisme du racisme pour pouvoir répondre à la question posée.
Le lendemain, alors que je n'y pensais plus, cette question m'est revenue en tombant sur un nouvel article évoquant la mort de Tyre Nichols. Je vous livre la réponse qui m'est venue, construite sur les fondations précédemment exposées.
Je dirais qu'il est tout à fait possible que cinq policiers afro-américains battant à mort un afro-américain relève du racisme. Cela dépend si le fait que la victime soit afro-américaine joue. Est-ce que ces cinq policiers se seraient considérés autorisés à passer à tabac une personne blanche ? Si oui, le racisme n'a rien à voir dans cette triste affaire qui relève alors de la seule question des violences policières. Si non, cet homicide est bien la conséquence directe du racisme imprégnant la société états-unienne, illustrant que, dans ce système, toutes les vies ne se valent pas.
De même que nous évoquions ci-dessus la possibilité qu'une femme puisse être anti-féministe et avoir intériorisé des conduites sexistes, nous ne pouvons tout simplement pas écarter qu'un afro-américain soit victime de racisme infligé par d'autres afro-américains. Finalement, pour répondre à la question posée par ce billet, il faut et il suffit de se demander si l'appartenance culturelle, ethnique ou la couleur de peau de la victime a joué un rôle dans son meurtre. Autrement dit, l'appartenance culturelle, ethnique ou la couleur de peau de ses agresseurs, quand bien même ils appartiendraient au même groupe discriminé, n'est pas déterminante.
[1] sauf en tant qu'enfant, précisément. La loi des pères (pour reprendre l'expression de l'auteur-réalisateur Patrick Jean), sur laquelle notre société s'est construite, fait de la femme et des enfants du couple la quasi-propriété de l'homme. Cette histoire continue de structurer notre société avec les conséquences que l'on sait sur la façon dont les enfants et les femmes sont (mal)traitées. Cependant, à la différences des discriminations citées dans ce billet, celle-ci est vécue par définition a priori à un moment par toutes et tous, chacune et chacun étant passé par la case « enfant ». Tout le monde est a priori susceptible d'en tirer le même désavantage. Ce n'est pas un désavantage dont certaines catégories de la population seraient a priori exempt, il convient donc de l'envisager séparément.
[2] Le terme « personnes socialement minorées » est plus pertinent que celui de « minorités » : il permet ainsi de mieux comprendre par exemple que les femmes, bien que majoritaires en nombre, constituent bien une minorité au sens où elles sont socialement minorées.
[3] J'écris « par exemple » car malheureusement les discriminations s'ajoutent pour amplifier le désavantage des personnes qui en cochent plusieurs.
[4] L'emploi du terme « racisé » permet d'être cohérent avec la notion de race qui est une pure construction sociale.