Le scrutin européen du 25 mai 2014 marque t-il la fin du bipartisme en France ?
Rédigé par antistress le 28 mai 2014 - 5 commentairesDerrière les scores historiques
du Front national et du Parti socialiste
Au lendemain des élections européennes, une journaliste de France Info avançait que les élections européennes du 25 mai dernier, qui ont vu le Front National arriver en tête, marquent la fin du bipartisme en France.
Le résultat de l'élection en France (qui a connu un taux de participation de 43.50%) a été le suivant (source : Ministère de l'intérieur) :
FN : 24.95%
UMP : 20.79%
PS - PRG : 13.98%
Alternative (UDI+MoDem) : 9.90%
Europe écologie : 8.91%
FG (PCF+PG+Ens.+et al.) : 6.34%
DLR : 3.82%
Nouvelle Donne : 2.90%
LO : 1.00%
NPA : 0.30%
...
Alors : bipartisme ou pas ?
Bon, vous allez rire : je ne vois pas, dans ce score, ce qui permet d'exclure la qualification de bipartisme.
On a tout de même, loin devant les autres, deux partis qui réalisent des scores l'un de 24,95% (score historiquement haut pour le FN) et l'autre de 20,79%, quand le troisième doit se contenter de 13,98% (score historiquement bas pour le PS), un score finalement pas si loin, d'ailleurs, de ses deux poursuivants qui réalisent 9,90% et 8,91%.
J'avoue ne pas savoir s'il existe une méthode reconnue et partagée qui permette, en fonction des scores relatifs ou absolus réalisés, d'établir quels partis « comptent » et lesquels « ne comptent pas », et ainsi de qualifier, dans le paragraphe précédent, le système politique français de bipartite, tripartite, quadripartite ou quinquapartite.
À l'instinct, j'ai l'impression que l'inertie du jugement humain conduit, dans cette situation nouvelle, à inclure les deux grands partis historiques dans le groupe des « partis qui comptent », de sorte que l'on entendra parler de régime tripartite si les deux sont dans les trois premières places mais que l'un d'eux occupe précisément la troisième, de régime quadripartite si les deux sont dans les quatre premières places mais que l'un d'eux occupe précisément la quatrième etc.
Un rapide coup d’œil aux résultats conduirait, il me semble, à évoquer le bipartisme, voire le quinquapartisme tant il semble a priori que les numéros 3, 4 et 5 sont proches. Mais est-ce bien le cas ? Voyons ce que donne le score de chaque parti si on le compare au score du parti qui le devance :
FN : en tête
UMP : 83,33% (comprendre : l'UMP réalise 83,33% du score du FN)
PS - PRG : 67,24%
Alternative (UDI+MoDem) : 70,82%
Europe écologie : 90,00%
FG (PCF+PG+Ens.+et al.) : 71,16%
DLR : 60,25%
Nouvelle Donne : 75,92%
LO : 34,48%
NPA : 30,00%
...
Surprise ! Si l'on admet le PS dans le groupe des partis qui comptent alors qu'il ne réalise que 67,24% du score du parti qui le devance, il faut alors logiquement inclure également au minimum tous les partis jusqu'au FG inclus, puisque tous réalisent un meilleur score relatif que celui du PS..
Du coup, si l'on suit cette méthode empirique du score relatif de chaque parti par rapport à celui qui le précède, on peut conclure au bipartisme ou au sexapartisme par exemple, mais pas au tripartisme ni au quadripartisme ou au quinquapartisme !
Sur la base statique de ce seul résultat électoral, j'aurais donc plutôt tendance à qualifier le système politique français de bipartite, tout en notant un changement des partis qui le composent puisque le FN semble ici remplacer le PS dans l'équation.
Mais en fait : est-ce bien important ?
Je pense en réalité que la journaliste que j'ai entendue sur les ondes touche du doigt la vraie question, mais la manque de peu.
Car, à mon avis, que le bipartisme continue ou non de structurer le système politique français n'a pas tellement d'importance, contrairement au fait que la vieille division droite / gauche semble s’achever, au profit d’une division de type : partis favorables au libre-échange / partis défavorables au libre-échange.
En effet, la question n'est pas tant, selon moi, celle de l'évolution du bipartisme du système politique français – qui relève tout au plus du symptôme – que celle de l'évolution de sa bipolarisation – qui permet plus sûrement de comprendre ce qui se joue ici.
Un dessin valant souvent mieux qu'un long discours, je vous ai préparé un croquis comparatif (avec le logiciel libre GIMP) de la situation antérieure et de la situation actuelle :
Bipolarisation précédente :
Nouvelle bipolarisation en cours :
Nous sommes passés, selon moi, d'une bipolarisation autour des concepts de progressisme et de conservatisme à une bipolarisation organisée autour de l'acceptation ou non du système de libre-échange dans lequel les extrêmes se rejoignent (d'où cette courbure de ligne dans mon croquis).
En effet, le libre-échange mondialisé démontre jour après jour ses effets socio-économiques néfastes en Europe, que nos responsables politiques, docilement soumis à l'idéologie du libre-échange, refusent (consciemment ou non) de voir, continuant de désigner des bouc-émissaires à la galerie.
De fait, les effets mesurables du libre-échange dans les pays dits développés, et notamment en Europe, sont : baisse continue du niveau de vie, pression pour rogner les salaires, pression pour rogner les dispositifs sociaux, montée du racisme et j’en passe... La tendance ne fait pas envie ! [1]
Et surtout : chaque crise du capitalisme est une excuse pour rogner encore, en imposant des réformes douloureuses pour les populations, qui ne seraient pas acceptées en temps normal : magie du système qui se renforce par un cercle vicieux ! [2]
Les effets néfastes du libre-échange sont, en revanche, bien perçus par la base des électeurs, de plus en plus large, qui les subit concrètement au quotidien, et qui, en retour, tourne le dos aux deux partis historiquement dominants que sont le PS et l'UMP, ensemble soumis aveuglément à l’idéologie du libre-échange.
L’absence de clairvoyance et de réponse de la part des deux partis historiquement dominants aux questions fondamentales des citoyens qui se voient rattrapés par les conséquences du libre-échange, amène ces derniers à envisager des offres politiques alternatives qui ont, elles, identifié ce problème. Il faudrait cependant discuter des réponses apportées par chacun de ces partis au problème identifié ; je suis, pour ma part, favorable à un protectionnisme européen, prôné notamment par Emmanuel Todd, mais ça, c'est une autre histoire. [3]
[1] Emmanuel Todd souligne ainsi que, « bien loin d’assurer la paix, le libre-échange jette les peuples les uns contre les autres dans une guerre économique sans fin » (« Après la démocratie » (2008), collection folio actuel, p232).
[2] v. « La stratégie du choc », de Naomi Klein
[3] v. « Après la démocratie », d'Emmanuel Todd